CLÉMENT THOMAS

 

(1809-1871)

 

 

 

 

 

 

 

 

Clément Thomas et le général Lecomte sont fusillés

le 18 mars 1871 à Montmartre, 36 rue des Rosiers (aujourd’hui rue du Chevalier-de-la-Barre).

L’un des témoins de l’exécution fut le jeune maire de Montmartre Georges Clémenceau.

 

        

 

 

         Oeuvre écrite de Clément THOMAS:

 

THOMAS, Clément 1845. De l’équitation militaire. De l’ancienne et de la nouvelle école. Paris: Pagnerre [45pp.] (Articles du National des 6, 10, 16 et 23 septembre 1845) (Second tirage chez Pagnerre, 1846 [48pp.]). L’opuscule est préfacé par François Baucher.

 

L’exécution de Clément Thomas et du général Lecomte décrite par Alphonse Daudet dans Quarante ans de Paris, 1857-1897 (Genève 1945):

 

 

XI. Le jardin de la rue des Rosiers

Écrit le 22 mars 1871   

Fiez-vous donc au nom des rues et à leur physionomie doucereuse !... Lorsque après avoir enjambé barricades et mitrailleuses, je suis arrivé là-haut derrière les moulins de Montmartre et que j'ai vu cette petite rue des Rosiers, avec sa chaussée de cailloux, ses jardins, ses maisons basses, je me suis cru transporté en province, dans un de ces faubourgs paisibles où la ville s'espace et diminue pour venir mourir à la lisière des champs. Rien devant moi qu'une envolée de pigeons et deux bonnes soeurs en cornette frôlant timidement la muraille. Dans le fond, la tour Solférino, bastille vulgaire et lourde, rendez-vous des dimanches de banlieue, que le siège a rendue presque pittoresque en en faisant une ruine.

   À mesure qu'on avance, la rue s'élargit, s'anime un peu. Ce sont des tentes alignées, des canons, des fusils en faisceaux ; puis sur la gauche, un grand portail devant lequel des gardes nationaux fument leurs pipes. La maison est en arrière et ne se voit pas de la rue. Après quelques pourparlers, la sentinelle nous laisse entrer... C'est une maison à deux étages, entre cour et jardin, et qui n'a rien de tragique. Elle appartient aux héritiers de M. Scribe...

   Sur le couloir qui mène de la petite cour pavée au jardin, s'ouvrent les pièces du rez-de-chaussée, claires, aérées, tapissées de papier à fleurs. C'est là que l'ancien Comité central tenait ses séances. C'est là que, dans l'après-midi du 18, les deux généraux furent conduits et qu'ils sentirent l'angoisse de leur dernière heure, pendant que la foule hurlait dans le jardin et que les déserteurs venaient coller leurs têtes hideuses aux fenêtres, flairant le sang comme des loups ; là enfin qu'on rapporta les deux cadavres et qu'ils restèrent exposés pendant deux jours.

   Je descends, le coeur serré, les trois marches qui mènent au jardin ; vrai jardin de faubourg, où chaque locataire a son coin de groseilliers et de clématites séparés par des treillages verts avec des portes qui sonnent... La colère d'une foule a passé là. Les clôtures sont à bas, les bordures arrachées. Rien n'est resté debout qu’un quinconce de tilleuls, une vingtaine d'arbres fraîchement taillés, dressant en l'air leurs branches dures et grises, comme des serres de vautour. Une grille de fer court derrière en guise de muraille, et laisse voir au loin la vallée, immense, mélancolique, où fument de longues cheminées d'usines. Les choses s'apaisent comme les êtres. Me voilà sur la scène du drame, et cependant j'ai peine à en ressaisir l'impression. Le temps est doux, le ciel très clair. Ces soldats de Montmartre qui m'entourent ont l'air bon enfant. Ils chantent, ils jouent au bouchon. Les officiers se promènent de long en large en riant. Seul, un grand mur, troué par les balles, et dont la crête est tout émiettée, se lève comme un témoin et me raconte le crime. C'est contre ce mur qu'on les a fusillés.

   Il paraît qu'au dernier moment le général Lecomte, ferme et résolu jusqu'alors, sentit son courage défaillir. Il essaya de lutter, de s'enfuir, fit quelques pas dans le jardin en courant, puis, ressaisi tout de suite, secoué, traîné, bousculé, tomba sur ses genoux et parla de ses enfants :

   "J'en ai cinq", disait-il en sanglotant.

   Le coeur du père avait crevé la tunique du soldat. Il y avait des pères aussi dans cette foule furieuse : à son appel déchirant quelques voix émues répondirent ; mais les implacables déserteurs ne voulaient rien entendre :

   "Si nous ne le fusillons pas aujourd'hui, il nous fera fusiller demain."

   On le poussa contre la muraille. Presque aussitôt un sergent de la ligne s'approcha de lui :

   "Général, lui dit-il, vous allez nous promettre..." Et tout à coup, changeant d'idée, il fit deux pas en arrière et lui déchargea son chassepot en pleine poitrine. Les autres n'eurent plus qu'à l'achever.

   Clément Thomas, lui, ne faiblit pas une minute. Adossé au même mur que Lecomte, à deux pas de son cadavre, il fit tête à la mort jusqu'au bout et parla très noblement. Quand les fusils s'abaissèrent, il mit, par un geste instinctif, son bras gauche devant sa figure, et ce vieux républicain mourut dans l'attitude de César... À la place où ils sont tombés, contre ce mur froid et nu comme la plaque d'un jardin de tir, quelques branches de pêcher s'étalent encore en espalier, et, dans le haut, s'ouvre une fleur hâtive, toute blanche, que les balles ont épargnée, que la poudre n'a pas noircie...

   ... En sortant de la rue des Rosiers, par ces routes silencieuses qui s'échelonnent au flanc de la Butte pleine de jardins et de terrasses, je gagne l'ancien cimetière de Montmartre, qu'on a rouvert depuis quelques jours pour mettre les corps des deux généraux. C'est un cimetière de village, nu, sans arbres, tout en tombeaux. Comme ces paysans rapaces qui en labourant leurs champs font disparaître chaque jour un peu du chemin de traverse, la mort a tout envahi, même les allées. Les tombes montent les unes sur les autres. Tout est comble. On ne sait où poser les pieds.

   Je ne connais rien de triste comme ces anciens cimetières. On y sent tant de monde, et l'on n'y voit personne. Ceux qui sont là ont l'air d'être deux fois morts.

   ... "Qu'est-ce que vous cherchez ?" me demande une espèce de jardinier, fossoyeur, en képi de garde national, qui raccommode un entourage.

   Ma réponse l'étonne. Il hésite un moment, regarde autour de lui, puis, baissant la voix :

   "Là-bas, me dit-il, à côté de la capote."

   Ce qu'il appelle la capote, c'est une guérite en tôle vernie abritant quelques verroteries fanées et de vieilles fleurs en filigrane... À côté, une large dalle nouvellement descellée. Pas de grille, pas d'inscription. Rien que deux bouquets de violettes, enveloppés de papier blanc, avec une pierre posée sur leurs tiges pour que le grand vent de la Butte ne les emporte pas... C'est là qu'ils dorment côte à côte. C'est dans ce tombeau de passage qu'en attendant de les rendre à leurs familles, on leur a donné un billet de logement, à ces deux soldats.

 

 

Comme en toute chose, il est bon d’avoir connaissance des extrêmes, je citerai encore Karl Marx qui, dans La guerre civile en France, ne mâche pas ses mots, attaquant Clément Thomas de front dans un style ciselé au scalpel et, bien évidemment, fort peu partial:

 

Q Le ”général” Clément Thomas, un ex-maréchal des logis mécontent, s’était, dans les derniers temps du règne de Louis-Philippe, fait enrôler à la rédaction du journal républicain Le National pour y servir au double titre d’homme de paille (gérant responsable) et de duelliste commissionné de ce journal très batailleur. Après la Révolution de février, les hommes du National, ayant accédé au pouvoir, métamorphosèrent cet ancien maréchal des logis en général. C’était à la veille de la boucherie de juin, dont, comme Jules Favre, il fut un des sinistres instigateurs et dont il devint un des plus lâches bourreaux. Puis, ils disparurent, lui et son titre de général, pendant longtemps, pour revenir sur l’eau le 1er novembre 1870. La veille, le ”gouvernement de la Défense”, fait prisonnier à l’Hôtel de Ville, avait solennellement donné la parole à Blanqui, à Flourens et à d’autres représentants de la classe ouvrière, d’abdiquer son pouvoir usurpé entre les mains d’une commune qui serait librement élue à Paris. Au lieu de tenir sa promesse, il lâcha sur Paris les Bretons de Trochu, qui remplaçaient maintenant les Corses de Bonaparte. Seul, le général Tamisier, refusant de souiller son nom par un tel parjure, se démit du commandement en chef de la garde nationale et, à sa place, Clément Thomas redevint général. Pendant toute la durée de son commandement, il fit la guerre, non pas aux Prussiens, mais à la garde nationale de Paris. Il empêcha l’armement général, excita les bataillons bourgeois contre les bataillons ouvriers, élimina les officiers hostiles au ”plan” de Trochu et licencia, sous l’accusation infamante de lâcheté, ces mêmes bataillons prolétariens dont l’héroïsme a maintenant forcé l’admiration de leurs nnemis les plus acharnés. Clément Thomas se sentait tout fier d’avoir reconquis ses galons de juin 1848, comme ennemi personnel de la classe oivrière de Paris. Quelques jours encore avant le 18 mars, il soumettait au ministre de la Guerre, Le Flô, u plan de son cru pour ”en finir avec la fine fleur de la canaille parisienne”. Après la déroute de Vinoy, il ne put se défendre d’entrer en lice en qualité d’espion amateur. Le Comité central et les travailleurs de Paris furent tout juste aussi responsables de l’exécution de Clément Thomas et de Lecomte, que la princesse de Galles du sort des gens écrasés sous la foule le jour de son entrée à Londres  f